L’océan, le sel et les crevettes

La semaine passée je me promenais avec ma famille du côté de Jerez, oui Jerez de la Frontera au sud de l’Andalousie, pays du fameux vinaigre dont je parle parfois, des chevaux  avec l’Ecole royale andalouse d’art équestre et aussi de vins surprenants. Jerez c’est aussi le flamenco; tendez l’oreille et laissez-vous guider par un cante o un compas de bulería.

 

 

Je vais éviter de vous baratiner avec une énorme tartine mais j’aimerais tout de même dire 2 ou 3 mots… si vous voulez lire que la recette, passez mon blabla!
Tout d’abord le climat est incroyable là-bas. C’est vrai que pour les andalous il fait frais en ce moment. Mais pour nous c’est le dernier moment d’aller bronzer et se baigner sur d’immenses plages ou dans des petites calanques sympas. Presque pas un chat. L’océan est encore très agréable malgré les grosses vagues, la marée, le sel, ah le sel !
Les andalous sont très sympathiques, ils n’aiment pas les chichis mais sont toujours prêts à te dépanner et te rendre service. Merci à Juan Ruiz qui nous a donné un peu de sel. Il a commencé par rire parce qu’il vend bien du sel…mais par sacs de 25 kg. Armé de ses yeux bleus et d’une vieille pelle il nous a guidés entre les montagnes de sel. Il a trouvé un endroit où le sel avait une bonne tête et en a rempli notre sac. « Celui-là va bien pour saler le poisson !  Mais pas pour le reste, il faut du plus fin…»  Bref il est reparti dans son entrepôt et nous remplit un deuxième sac avec du sel plus fin, pas de la fleur mais un joli sel. Ca faisait bien longtemps que ces collines blanches nous intriguaient le long de l’autoroute qui descend du côté de Puerto Real. Les photos ont un petit rien de vacances de neige. Marrant !
Le sud de l’Andalousie est rempli de restaurants. Il y en a pour tous les goûts mais je vous conseille vivement pour l’apéro una copa de Fino cón una tapa de jamón. Pour le petit déjeuné choisissez: tostada cón jamón, mollete, café solo, café cortado, café con leche, colacao, zúmo de naranja. La paella au bord de l’océan et sur les terrasses: croquetas de puchero, de jamón, de pescado, de cola de toro, de chocos… Moi là-bas je ne cuisine plus.
Et le vin, ce fameux vin, si étrange pour les non-initiés.

Afin de ne pas trop m’étendre sur le sujet, je ne vais pas développer la partie terroir. Imaginez juste une terre rouge à dominante calcaire, aride mais non craquelée, où la température atteint facilement les 40 ° C et où il ne pleut pas entre juin et octobre!

Vinifié avec 2 cépages blancs: le Palomino Fino et le Pedro Ximénez, le Jerez se répartit en deux grandes familles, auxquelles se rattachent de multiples appellations. Je vais vous en décrire 3 : le Fino, vin de type sec, obtenu après vieillissement sous un voile de levures, la “flor” ; l’Oloroso, plus alcoolisé et plus riche, vieillit en fût sans formation de la flor et le Pedro Ximénes, le plus concentré et foncé des Jerez. Elevés entre 8 et 12 ans en fûts de chêne, ces vins sont non millésimés et ont un taux d’alcool compris entre 15 et 20 %. 

Historiquement les anglais ont toujours aimé ces vins ; pas pour rien qu’ils absorbent presque 40 % du marché et que les grandes caves ont des noms très british. Ils ont même inventé le mot sherry pour parler de ces vins parce qu’ils n’ont jamais pu prononcer correctement  jerez… Et les français qui ont inventé le mot xérès… Ha ha ha pas beaucoup mieux ! Bon j’essaye de vous expliquer rapidement ces drôles de vins.

Le Fino est élaboré avec du Palomino qui donne des moûts moins sucrés que le Pedro Ximénez. Ils sont fortifiés à environ 16 % avec une eau de vie de raisin au goût neutre avant la fin de la fermentation alcoolique. Les levures qui restent forment naturellement une fine couche qui va flotter en surface lorsque la température commence à s’élever et qui protège en grande partie le vin de l’oxydation grâce aux levures qui vont consumer l’oxygène. C’est pour cette raison que l’on parle de vins élevés sous voile. 

La flor doit se nourrir du vin sans l’épuiser, et sa vie dépend de degrés d’alcool très délimités, entre 14,5 et 16 %. En deçà le vin se transforme en vinaigre et au-delà la flor meurt par excès d’alcool. Cette technique empirique de vieillissement nécessite beaucoup de suivi, notamment par de petits ajouts de vin jeune pour maintenir le degré d’alcool au bon niveau. Les vins ne sont protégés qu’en partie de l’oxydation puisque de toute manière les fûts ne sont pas étanches et que pendant toute la durée de l’élevage le vin est en contact avec l’oxygène et le bois.  C’est cette alchimie et le temps qui vont permettre la création d’au moins 307 composés volatils.  Il s’agit du même procédé pour les Vins Jaune du Jura. 
La grande particularité du Jerez est son vieillissement selon le système de la solera, sorte d’assemblage en continu de vin provenant de fûts différents mais de la même appellation. Les fûts où vieillissent les vins sont disposés en différentes rangées, les criaderas, selon l’année de production. La rangée la plus basse, appelée solera (car située à même le sol) est régulièrement soutirée en fonction des besoins de commercialisation. Les fûts, qui ne sont que partiellement vidés, sont complétés aussitôt par les vins de la rangée supérieure, et eux-mêmes reçoivent des vins de la rangée précédente, et ainsi de suite. Selon l’importance du négociant, le système peut comporter de quatre à quatorze rangées. La mention “Solera 1921” qu’on trouve sur les bouteilles de Jerez indique la date de mise en service de la première rangée de fûts, en l’occurrence 1921. Un tel système de vieillissement permet d’unifier le style d’une même maison de négoce, la bodega. Les vins jeunes réveillant les vins plus âgés, l’assemblage final comportant toujours une forte proportion de vins vieux.

Pour élever du Fino les fûts de chêne sont remplis à 80 % et placés dans la partie fraîche de la cave. Comme expliqué ci-dessus, les vins jeunes sont en haut et les vins à tirer en bas. Après les vendanges 30 % du vin est prélevé de la rangée du bas pour la mise en bouteille et la vente. Les futs seront complétés régulièrement avec le vin de la rangée juste au-dessus pour compenser l’évaporation. Le Fino est un vin pâle au goût suave, sec, aromatique et souvent iodé.

L’Oloroso est aussi élaboré avec du Palomino mais lorsque la fermentation alcoolique est terminée, au mois de décembre, les dégustateurs choisiront des vins de base plus colorés, plus aromatiques et avec plus d’acidité. Le vin est cette fois un peu plus fortifié, à raison de 18.5 à 20 %. Les fûts sont remplis à 95 % et placé dans une partie plus chaude de la cave. Le vin ne sera pas protégé par le voile et évoluera exclusivement en milieu oxydatif. La belle couleur foncée, le taux de glycérol et d’alcool ainsi que les arômes de fruits secs en sont des caractéristiques.

Le Pedro Ximénez est lui un vin provenant exclusivement du cépage du même nom. Il est très minoritaire dans la région de Jerez (moins de 100 hectares), mais beaucoup plus répandu dans le reste de l’Andalousie en particulier à Malaga. Bien qu’il soit plus riche en sucre, les grappes sont même encore séchées quelques jours afin de le concentrer. L’élevage est le même que pour l’Oloroso bien que les fûts soient même parfois exposés en plein soleil… Imaginez la température ! Il s’agit d’un vin très coloré, presque noir, liquoreux, concentré en arômes et en sucre qui lui donne une texture très dense et épaisse. On pourrait penser aux goûts d’un vieux vin de noix bien toasté.

Et les bouteilles portant la mention cream, medium, medium dry etc. ? Elles sont en résumé des assemblages de Fino, d’Oloroso et de Pedro Ximénez. Bref entre le Fino et le Pedro Ximénez , on trouve toute la gamme intermédiaire d’arômes et de couleurs.

Pour approfondir le sujet, je ne peux que vous recommander de lire le chapitre concernant ces vins dans le livre Papilles et Molécules de François Chartier. Vous trouverez une multitude d’assemblages aromatiques incroyablement réussis pour votre cuisine.
Bon venons-en aux crevettes… Oui parce que lorsque vous avez la chance d’être près d’un océan ou d’une mer en Europe vous pouvez dire adieu aux grosses crevettes grises asiatiques (oui grises !) et bonjour à leurs cousines roses qui ont une chair beaucoup plus délicate et un goût plus marqué. Et aussi parce que après tout ce bla bla eh bien on a un peu faim et aussi soif…. Je sais bien ! Et si c’est vrai que j’avais promis de ne pas cuisiner… merci de tolérer une exception ! On est un Rollmops ou pas.
Orgie de crevettes pour 4 :

 

1 kg de crevettes moyennes (à moins de 6 euros au marché, he oui !)

 

Ail, persil plat, pimenton de la Vera, poivre noir, citron jaune, Fino, piments verts, huile d’olive, vinaigre de Jerez

 

Chauffer fortement de l’huile au fond d’une poêle (alors en vacances ce n’est pas toujours possible d’éviter le téflon, carramba !)

 

Frire légèrement un peu de piment verts frais et une gousse d’ail pelée et écrasée

 

Y jeter une poignée de crevettes

 

Griller, déglacer au vin, au vinaigre ou au jus de citron, saler et assaisonner avec du poivre ou du pimenton de la Vera. Attention de ne pas trop cuire. Si on déglace au vinaigre il faudra attendre que tout le liquide soit évaporé.

 

Servir dans une assiette avec du persil plat ciselé et des quartiers de citron jaune. En accompagnement, de la baguette et une bonne grande salade variée que chacun assaisonne à sa convenance. A boire ? He bien à Jerez on boit du Fino, parfaitement mesdames et messieurs !
Mention spéciale pour la version citron, persil plat et pimenton de la Vera !

 

Pour la paella on va ici

 

Pour les croquettes on va ici

 

Pour la tortilla on va là

 

Pour le gaspacho ici

 

Et si vous préférez boire une sangria plutôt ici !

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